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Décret tertiaire : les bailleurs ont tout intérêt à être proactifs !

novembre 22, 2022

Décret tertiaire

Il fixe des objectifs de résultat, impose des déclarations, prévoit des sanctions, et renvoie bailleurs et locataires à leurs responsabilités respectives. En cela, le décret tertiaire, renommé dispositif éco-énergie tertiaire, est l'occasion pour eux de renouer un dialogue constructif.

Nous parlons de son application au cas particulier du retail avec Benjamin Sebban, directeur investissement commerce, et Cédric Nicard, directeur du développement durable de CBRE France.

Que retenir du dispositif éco-énergie tertiaire (ex-décret tertiaire) ?
Cédric Nicard. On peut le résumer en disant qu'il concerne les immeubles de plus de 1000 m2 et qu'il comporte un objectif de résultat, un objectif de moyens et des sanctions.
L'objectif de résultat consiste à diminuer la consommation énergétique de 40 % en 2030, 50 % en 2040 et 60 % en 2050. L'année de référence est à choisir entre 2010 et 2019, mais il faut disposer des données de consommation correspondantes. C'est rarement le cas au-delà de 3 à 5 ans d'antériorité.
Pour ce qui est des moyens, un seul est imposé, c'est la déclaration des consommations sur une plateforme dédiée. Le texte n'impose pas de moyens techniques.
Des sanctions sont prévues, chose est assez rare dans le droit français de l'environnement. Ce qui est intéressant, c'est qu'elles sont à la fois financières et de réputation.

Pouvez-vous préciser ?
C. N.
Le non-respect des obligations, tant de moyens – la déclaration – que de résultat aux échéances, expose à une sanction de 7 500 € par an pour une personne morale et 1 500 € par an pour une personne physique. C'est élevé pour un petit commerçant, mais presque insignifiant pour une grande entreprise. En revanche, ces dernières sont très sensibles à la sanction de réputation, qui consiste à rendre public leur non-respect de la loi. C'est le principe du name and shame. Ce double mode de sanction devrait être assez efficace.

Qui est responsable devant la loi : le bailleur ou le locataire ?
Benjamin Sebban.
Le texte du décret parle des "propriétaires et, le cas échéant, [des] preneurs à bail". Le Gouvernement a manifestement considéré que, leurs responsabilités respectives étant régies contractuellement par le bail qui les lie, il leur revenait de s'entendre entre eux.
En pratique, c'est le locataire qui paye les factures d'énergie et qui est le mieux à même de faire les déclarations pour son local, tandis que le bailleur fera de même pour les parties communes. Mais les grands groupes prennent les devants pour ne pas se retrouver face à un débat de « sachant / non-sachant ». En cas de shaming, leur image serait entachée, et ils ne pourraient se défausser sur des « non-sachants ».

Et les mesures concrètes à prendre pour diminuer la consommation d'énergie : quelles sont-elles et à qui incombent-elles ?
C. N.
Pour atteindre les objectifs à l'horizon 2030, les actions vont consister dans leur grande majorité en de petits travaux portant sur le système de chauffage et climatisation, l'éclairage et les systèmes de pilotage, et en mesures d'exploitation : éteindre la lumière quand on n'en a pas besoin, adapter la température… Ces mesures sont du ressort du locataire, elles ne touchent ni au clos ni au couvert, qui sont de la responsabilité du propriétaire. En revanche, pour les étapes ultérieures de 2040 et 2050, il faudra en effet revoir l'isolation des bâtiments.
B.S. Disons que la théorie est bien celle-là. Mais en pratique, on sait bien que le locataire, s'il est en position de force, peut négocier un renouvellement du bail contre la prise en charge par le bailleur de travaux qui normalement lui incomberaient, ou a minima un partage des coûts. C'est pourquoi un partage des coûts liés aux équipements énergétiques pourrait paraître "équitable" aux parties. N'oublions pas, en outre que le bailleur doit livrer un local conforme à la réglementation en vigueur.

Il faut être vigilant car des commerces de moins de 1000 m2 peuvent être concernés sans le savoir…
C. N.
En effet, dès lors qu'une parcelle cadastrale contient plus de 1000 m2 d'activités tertiaires prises au sens très large, publiques ou privées, chaque entité est concernée, même si elle-même n'occupe qu'une petite surface. Donc les commerces implantés dans les centres commerciaux, mais aussi la plupart du temps dans les zones commerciales, sont assujettis. Les commerces en pied d'immeuble peuvent l'être aussi, sans le savoir, s'il y a des bureaux en étage. Inutile de dire que cela complexifie les choses, surtout dans le cadre d'une copropriété.

Les bailleurs sont-ils bien informés dans l'ensemble ?
B. S.
Sans doute pas encore, justement, certains propriétaires d'un patrimoine restreint de commerces en pied d'immeuble ou en périphérie dont parle Cédric. Pour le reste, les foncières qui possèdent et gèrent des centres commerciaux sont bien informées ; elles ont commencé à prendre les mesures qui s'imposent pour elles-mêmes, et discuté avec leurs locataires. Dans les centres commerciaux, les consommations sont d'ailleurs gérées par les propriétaires puisque les équipements sont communs.
Les propriétaires qui opèrent des levées de fonds pour acquérir des actifs ou bien qui en vendent se voient aussi directement confrontés au sujet. Les acquéreurs veulent savoir comment se situent ces actifs en termes de performance énergétique, car ils prévoient évidemment, en amont de leurs offres, des coûts associés dans leurs business plan, même sur des périodes longues.

Qu'implique l'échéance de 2040 en termes de travaux ?
C. N.
À l'horizon 2040, il faudra gagner 10 points d'économie d'énergie supplémentaire et donc souvent travailler sur l'enveloppe du bâtiment. Cela représentera une dépense importante pour les bâtiments des retail parks en particulier. En outre, même si on isole les coques par l'extérieur, les travaux sont bruyants et gênants. Pour les pieds d'immeuble, les points à traiter seront notamment la vitrine, le plancher et les surfaces de contact avec les bâtiments mitoyens. C'est loin d'être neutre financièrement.
B. S. Ce genre de travaux devrait se faire entre deux locataires, mais la rotation est beaucoup plus lente pour les commerces que pour les bureaux. Et on ne peut pas non plus, ou beaucoup plus difficilement, envisager un hébergement temporaire dans d'autres locaux. Une compensation financière pourrait être envisagée en cas de perte d’exploitation due aux travaux.

Que recommandez-vous aux propriétaires concernés ?
B. S.
Tant les propriétaires que les occupants ont intérêt à se mettre en conformité avec ce dispositif, les premiers pour valoriser leurs actifs, les seconds pour économiser de l'énergie. Si le texte ne distribue pas les responsabilités entre eux, c'est sans doute pour les inciter à se parler, et c'est une excellente chose.
C. N. Absolument, et c'est ce que nous leur recommandons. C'est factuel : il y a des objectifs à atteindre, cela représente des coûts, il faut les établir et les répartir de manière pragmatique. Chez CBRE, nous observons que ces discussions sont beaucoup plus constructives que ce à quoi on pouvait s'attendre.

Est-ce au bailleur de prendre l'initiative de ce dialogue ?
C. N.
La situation peut paraître paradoxale parce que, à court terme, c'est le locataire qui a la main sur les mesures à prendre comme on l'a vu. Il n'empêche que, face à la loi, il y a une présomption de responsabilité première du propriétaire. Nous l'encourageons à faire le premier pas et à être proactif car, dans la plupart des cas, c'est lui le professionnel de l'immobilier : il a une responsabilité étendue tacite. Et il a tout à fait intérêt, par exemple, à demander à son locataire de lui transmettre ses données de consommation, à proposer une étude technique faite par un tiers de confiance, ou encore à assister un locataire qui doit faire état de circonstances particulières eu égard à sa consommation d'énergie : s'il a élargi ses horaires d'ouverture par exemple. Certains bailleurs possédant de nombreux locaux auront aussi intérêt à "industrialiser" les audits et les travaux pour réaliser des économies d'échelle.