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La place de marché locale
Par Razika Kout et Bertrand Triacca, directrice et directeur adjoint des études et du montage d’opérations retail
juin 9, 2022

Les places de marché (ou market places) locales rencontrent un grand intérêt de la part des villes, qui peuvent bénéficier de subventions pour des projets visant à accélérer la digitalisation des commerçants indépendants, mais aussi à dynamiser les centres-villes. À quoi doivent-elles être attentives ?
Par Razika Kout et Bertrand Triacca, directrice et directeur adjoint des études et du montage d’opérations retail
Une place de marché locale est une plateforme de vente en ligne sur le modèle de celle d’Amazon, réservée aux offres des commerçants d'une ville ou d'un centre-ville. Elle s’apparente donc au double numérique de l’appareil commercial physique ; elle permet aux habitants d’y trouver des informations et d’y faire leurs achats.
Depuis les années 2010, la montée en puissance de l’e-commerce s’est ajoutée à la concurrence du commerce de périphérie pour fragiliser un peu plus encore les centres-villes, dont les commerçants souvent indépendants n’avaient pas effectué leur transition numérique. C’est dans ce contexte que sont apparues des startups [1] proposant aux villes des solutions intégrées de place de marché. Elles ont bénéficié, via les collectivités, des subventions de la Banque des territoires pour soutenir la digitalisation du petit commerce, notamment dans le cadre du programme Action Cœur de Ville. La pandémie de Covid 19 a conduit l’État à renforcer ce soutien et a accéléré la prise de conscience, par les villes et les commerçants, de la nécessité d’une présence efficace en ligne pour le commerce de proximité.
Si la place de marché locale ressemble sur le papier à une solution de bon sens, une analyse plus approfondie montre qu’elle exige beaucoup de la collectivité et ne saurait être adaptée à toutes les situations.
Dans tous les cas, il est recommandé de réaliser une enquête auprès des utilisateurs potentiels de la place de marché pour mesurer leur intérêt pour les services proposés, et les usages qu’ils font déjà de services en ligne concurrents. En particulier, si leur principale motivation réside dans la livraison, ce point est à prendre en compte dans le modèle économique de la solution, car ce service en élève beaucoup le coût.
La gestion informatique des stocks est un prérequis, et elle reste peu développée (un tiers des commerçants dans plusieurs cas que nous avons étudiés). Se pose également la question du temps disponible. Une place de marché efficace référence des produits et non des commerces, ce qui implique un travail important de mise en valeur (photos notamment) et de gestion des stocks en temps réel. Finalement, les commerçants les plus motivés sont ceux qui maîtrisent déjà les outils digitaux.
Mais c’est à la collectivité que revient de piloter et d’animer le dispositif. À elle de convaincre les commerçants d'adhérer, de les accompagner au-delà de l’assistance relativement sommaire apportée par l’opérateur, de faire la promotion de la plateforme auprès des habitants-consommateurs, et de suivre les résultats. Elle travaille aussi en relation étroite avec l’association des commerçants, qui va notamment proposer des actions promotionnelles, et, le cas échéant, avec un prestataire chargé d’effectuer les livraisons. Dans le cadre d’une étude récente pour une ville de 50 000 habitants, nous avons estimé, avec notre partenaire Suricats Consulting, que ces tâches justifiaient la création d’un poste de manager du commerce à temps plein.
Le reste du financement est apporté par les commerçants adhérents, qui versent à l’opérateur une commission sur les ventes effectuées en ligne (environ 5,5 %). La participation de la collectivité est calculée en fonction de prévisions du nombre d’adhérents et du volume de ventes réalisées.
[1]Parmi les principaux opérateurs, on peut noter MaVilleMonShopping, Whishibam, Acheteza.com, TheRing …
Par Razika Kout et Bertrand Triacca, directrice et directeur adjoint des études et du montage d’opérations retail
Une place de marché locale est une plateforme de vente en ligne sur le modèle de celle d’Amazon, réservée aux offres des commerçants d'une ville ou d'un centre-ville. Elle s’apparente donc au double numérique de l’appareil commercial physique ; elle permet aux habitants d’y trouver des informations et d’y faire leurs achats.
Depuis les années 2010, la montée en puissance de l’e-commerce s’est ajoutée à la concurrence du commerce de périphérie pour fragiliser un peu plus encore les centres-villes, dont les commerçants souvent indépendants n’avaient pas effectué leur transition numérique. C’est dans ce contexte que sont apparues des startups [1] proposant aux villes des solutions intégrées de place de marché. Elles ont bénéficié, via les collectivités, des subventions de la Banque des territoires pour soutenir la digitalisation du petit commerce, notamment dans le cadre du programme Action Cœur de Ville. La pandémie de Covid 19 a conduit l’État à renforcer ce soutien et a accéléré la prise de conscience, par les villes et les commerçants, de la nécessité d’une présence efficace en ligne pour le commerce de proximité.
Si la place de marché locale ressemble sur le papier à une solution de bon sens, une analyse plus approfondie montre qu’elle exige beaucoup de la collectivité et ne saurait être adaptée à toutes les situations.
1/ Bien mesurer l’intérêt de la place de marché pour les clients
Il importe en premier lieu de replacer le projet dans son contexte. Dans un centre-ville très dégradé, d’autres investissements seront prioritaires pour recréer une attractivité globale (accessibilité, qualité des espaces publics, qualité de l’offre, restauration de linéaires commerciaux, venue de locomotives…). Si la clientèle visée s’est trop détournée du centre-ville, une place de marché locale ne constituera pas un argument suffisamment puissant pour attirer son attention et la faire revenir vers ses commerces.Dans tous les cas, il est recommandé de réaliser une enquête auprès des utilisateurs potentiels de la place de marché pour mesurer leur intérêt pour les services proposés, et les usages qu’ils font déjà de services en ligne concurrents. En particulier, si leur principale motivation réside dans la livraison, ce point est à prendre en compte dans le modèle économique de la solution, car ce service en élève beaucoup le coût.
2/ Cerner la motivation des commerçants à rejoindre la place de marché
Une place de marché ne peut fonctionner sans une masse critique de commerçants qui y vendent leurs produits. La présence des locomotives du centre-ville est quasi indispensable pour assurer l’attractivité de la plateforme auprès des consommateurs. Or la motivation ou la capacité des commerçants à la rejoindre est loin d’être acquise.La gestion informatique des stocks est un prérequis, et elle reste peu développée (un tiers des commerçants dans plusieurs cas que nous avons étudiés). Se pose également la question du temps disponible. Une place de marché efficace référence des produits et non des commerces, ce qui implique un travail important de mise en valeur (photos notamment) et de gestion des stocks en temps réel. Finalement, les commerçants les plus motivés sont ceux qui maîtrisent déjà les outils digitaux.
3/ Anticiper les compétences nécessaires au sein de la ville
Sous une apparente simplicité, une place de marché locale cache une grande complexité. L’opérateur met la plateforme à disposition, il forme et aide (un peu et à distance) les commerçants à la mise en ligne de leurs produits, assure leur référencement par les moteurs de recherche et gère le processus de vente en ligne.Mais c’est à la collectivité que revient de piloter et d’animer le dispositif. À elle de convaincre les commerçants d'adhérer, de les accompagner au-delà de l’assistance relativement sommaire apportée par l’opérateur, de faire la promotion de la plateforme auprès des habitants-consommateurs, et de suivre les résultats. Elle travaille aussi en relation étroite avec l’association des commerçants, qui va notamment proposer des actions promotionnelles, et, le cas échéant, avec un prestataire chargé d’effectuer les livraisons. Dans le cadre d’une étude récente pour une ville de 50 000 habitants, nous avons estimé, avec notre partenaire Suricats Consulting, que ces tâches justifiaient la création d’un poste de manager du commerce à temps plein.
4/ Étudier les modèles économiques des opérateurs et les frais annexes
Si la collectivité s’implique ainsi, c’est généralement parce qu’elle co-finance la place de marché, en partie grâce aux subventions qu’elle reçoit de l’État ou de la Banque des territoires. Les modèles d’affaires diffèrent selon les opérateurs. À titre indicatif, les données collectées dans le cadre de l’étude susmentionnée ont montré que certains opérateurs facturent à la collectivité des frais forfaitaires d’installation de l’ordre de 30 000 € puis des frais annuels de fonctionnement pouvant atteindre 19 000 €. À quoi devrait s’ajouter un budget annuel de communication de 50 000 € à 100 000 €.Le reste du financement est apporté par les commerçants adhérents, qui versent à l’opérateur une commission sur les ventes effectuées en ligne (environ 5,5 %). La participation de la collectivité est calculée en fonction de prévisions du nombre d’adhérents et du volume de ventes réalisées.
En conclusion…
La création d’une place de marché locale peut certainement accélérer la digitalisation des commerçants indépendants en leur fournissant un outil et un accompagnement technique individuel. Mais son succès dépendra en partie de conditions initiales favorables : un centre-ville suffisamment attractif et l’antériorité d’une gouvernance dynamique entre la ville, l’association des commerçants, la CCI et les commerçants eux-mêmes. Une implication forte de la collectivité sera également nécessaire pour accompagner ces derniers dans leur transition digitale et pour assurer la promotion de la place de marché auprès de la clientèle.[1]Parmi les principaux opérateurs, on peut noter MaVilleMonShopping, Whishibam, Acheteza.com, TheRing …
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