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Entretien CBRE RETAIL | Thierry Repentin & Raphaële Mouric, Ville de Chambéry

avril 17, 2021

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Le maire d’une ville moyenne confiant dans l’avenir du commerce ? Une excellente raison de rencontrer Thierry Repentin, élu maire de Chambéry en juin 2020, et Raphaële Mouric, son adjointe chargée du développement de l’économie locale et de l’attractivité. Dans le cadre de notre série "Positivons", ils s’entretiennent avec Jérôme Le Grelle de leur rôle d’élu vis-à-vis du commerce local.

Jérôme Le Grelle
Je suis ravi que vous ayez accepté cet échange car je suis convaincu que, en matière de commerce, le rôle des élus est à la fois essentiel et extraordinairement complexe, et ce plus encore que jamais dans la période actuelle. Peut-être pouvons-nous partir justement de l’impact de la crise sanitaire, qui vous a certainement beaucoup occupé ces derniers mois ?


Thierry Repentin 
Sur la question du commerce, le maire est un acteur important, mais il doit tenir compte de législations qui le dépassent et de politiques définies à d'autres niveaux. Cela s’est révélé particulièrement vrai dans la période actuelle, qui nous place en interaction obligée avec les services de la préfecture, dont l’action réglementaire peut parfois perturber notre propre analyse et nos propres souhaits vis-à-vis du commerce de proximité. 

Dans les premiers jours suivant la décision de l'État de fermer les commerces dits “non essentiels” [le 30 octobre 2020], je me suis retrouvé au milieu d’une manifestation devant la mairie où j’ai dû expliquer que non, je ne pouvais pas prendre un arrêté autorisant l’ouverture des commerces, comme certaines villes ont cru pouvoir le faire. Il est démagogique de laisser croire qu’un maire a le pouvoir de contredire une disposition de l’État. En revanche, et pour équité de traitement, avec une centaine d'autres maires notamment de villes centres, nous avons demandé au gouvernement de faire fermer les rayons “non essentiels” des hypers. Être obligés de composer ne nous empêche toutefois pas de convaincre. C’est ainsi que nous avons pu obtenir l’autorisation de reconfigurer notre marché de Noël en marché des créateurs, avec cette différence par rapport au marché de Noël habituel que nous avions essentiellement des artisans vendant leur propre production, d’où un certain gain qualitatif. De la même manière, nous avons transformé la braderie annuelle en vide-stock, astucieusement organisé le jour des élections sénatoriales pour profiter de la présence des grands électeurs toute la journée dans la ville. Nous avons maintenu ouverts notre marché de plein air et le marché couvert en centre-ville, grâce à des règles de distanciation. Il faut savoir s’adapter à des situations inattendues, et c’est d’ailleurs ce que certains commerçants savent très bien faire. 



Photo du Maire de Chambry et son adjointe
Thierry Repentin, maire de Chambéry, et Raphaële Mouric, son adjointe,
chargée du développement de l’économie locale et de l’attractivité



Pour être honnête, tous les maires ne sont pas logés à la même enseigne. Une étude toute récente de l'association des villes moyennes de France montre que Chambéry, dans la strate des villes de 30 000 à 100 000 habitants, se classe en deuxième position des villes les plus résistantes en matière de flux piétons et de fréquentation du centre-ville. Mais c’est lié à une attractivité qui dépasse celle du commerce proprement dit. Chambéry a la chance de posséder un vrai patrimoine. En tant que chef-lieu de son département, elle rayonne sur la Savoie mais aussi sur l’Isère, l’Ain et la Haute-Savoie grâce à des accès faciles. Tout cela compte beaucoup, démontrant qu’ il faut aussi savoir valoriser ses atouts, et que cela passe par des leviers qui vont au-delà de l’action commerciale stricto sensu. Ce qui ne nous a pas empêchés de prendre des décisions très concrètes et pragmatiques comme celles déjà évoquées ou encore celle de soutenir les commerçants, en annulant totalement les loyers de ceux qui sont locataires de la Ville ou de sa société d’économie mixte et de pratiquer l’exonération des droits de terrasse. Nous espérons que l’Agglomération annulera de son côté tout ou partie de la cotisation foncière des commerces.

Raphaële Mouric
Nous avons aussi mis en place une cellule de crise économique rassemblant des représentants des acteurs institutionnels économiques ( union commerciale, le tribunal de commerce et les chambres consulaires
), et créé une porte d’entrée unique pour se renseigner sur les démarches et les aides apportées par toutes les institutions, y compris celles du Département et de la Région. Cela a été très apprécié par les commerçants et artisans qui avaient beaucoup souffert de la masse d‘informations souvent contradictoires diffusée pendant le premier confinement.


"Je suis très optimiste pour la suite, ayant observé l'installation d'une bonne vingtaine de nouveaux commerces dans le centre-ville pendant le confinement"

Comment le commerce s’en sort-il à ce jour ?



Thierry Repentin
Les hôtels, cafés et restaurants, ainsi que l’habillement, entre autres, ont beaucoup souffert, mais la crise sanitaire a bénéficié aux commerces alimentaires de proximité, qui ont procuré à la fois une certaine sécurité et une convivialité très recherchée dans ce contexte. Certains clients vont sans doute conserver leurs nouvelles habitudes, mais, dans l’ensemble, je ne suis pas de ceux qui croient en un changement durable d'attitude à l'égard des grandes surfaces, qui me semblent conserver leur attractivité dans la périphérie. 

Cela étant, je suis très optimiste pour la suite, ayant observé avec une certaine surprise l'installation d'une bonne vingtaine de nouveaux commerces dans le centre-ville pendant le confinement. Il y a donc encore des gens, dont beaucoup de jeunes, qui y croient suffisamment pour prendre des risques. Je note aussi qu’il s’ouvre de moins en moins de franchises.

Ces nouveaux commerces apportent de la qualité, ils sont souvent sur des marchés de niche, des circuits courts ou de la vente directe de fabrications artisanales. Cela semble coïncider avec une tendance en faveur d’une consommation plus vertueuse, attentive à la qualité des produits et à leur mode de fabrication ; il y a des articles en bois, du made in France, des restaurants végétariens voire véganes, un caviste, des produits alimentaires dont un chocolatier… Nous avons la responsabilité d’accompagner ces commerçants, et c’est ce que nous avons fait avec les boutiques éphémères que nous avons mises à la disposition d’artisans, ou avec des locaux que nous louons à des loyers progressifs qui permettent de tester le marché. 

Boutique-Ephmre-Chambry
Boutique éphémère soutenue par la Ville



“Au départ, nous sommes partis un peu vite avec l’idée de contrer Amazon, puis nous avons pris le temps de la réflexion, et d’un vrai recueil des besoins.”

Le confinement a été l’occasion pour de nombreuses villes de proposer un appui à la digitalisation du commerce, notamment par le biais de plateformes de vente en ligne qui fédèrent les commerçants du centre-ville. Est-ce le cas de Chambéry ?



Raphaële Mouric
Nous nous sommes posé la question de la numérisation dès notre nomination. Au départ, nous sommes partis un peu vite avec l’idée de concurrencer Amazon, puis nous avons pris le temps de la réflexion, et d’un vrai recueil des besoins. Nous avons abandonné l’idée d’une plateforme mutualisée pour aller vers ce qui s'apparente plutôt à un réseau social des commerçants, qui vise à tisser des liens entre eux et vers l’extérieur. L’objectif est de leur permettre de mettre en avant leurs produits ou leurs services, mais pas pour les livrer à domicile. Nous voulons plutôt inciter les clients à se rendre dans les boutiques pour maintenir le contact et favoriser la fréquentation du centre-ville. 



Comment allez-vous le faire fonctionner ?



Raphaële Mouric

Nous allons recruter un ou une manager du commerce dont le rôle sera d’être au contact des commerçants et de faire en sorte que cet outil vive. Il ou elle va en particulier accompagner les commerçants dans sa prise en main et dans le passage à la phygitalisation de leur entreprise, ce qui ne va pas forcément de soi. Cette plateforme / réseau social et le poste de manager du commerce sont cofinancés par la Banque des territoires dans le cadre d’Action Cœur de Ville. Nous allons très bientôt les mettre à la disposition des commerçants de Chambéry. Ils sont très demandeurs et auraient même aimé que nous allions beaucoup plus vite. Mais je leur ai expliqué qu’aller trop vite c’était prendre le risque de mal penser les choses et de devoir les refaire. Nous avons préféré prendre le temps, quitte à passer pour des gens un peu lents !



Amazon a publié hier des résultats montrant qu’il a perdu des parts de marché en France. Les ventes en ligne des enseignes “traditionnelles” ont progressé plus vite que celles d’Amazon. Elles restent faibles en valeur absolue, mais un mouvement de bascule est en train de s'opérer. Pour ma part je crois profondément que l’avenir du commerce passe par un modèle économique refondu autour de l'omnicanalité, mais qu’un accompagnement des commerçants est indispensable.



Raphaële Mouric
Oui, et c’est pour cela qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Amazon n’est pas juste un géant américain qui vend du made in China. De nombreux petits commerçants utilisent ses services pour vendre leurs produits. C’est au consommateur de devenir un consommacteur, de choisir finement ce qu'il achète, de décider où et comment il a envie d'enrichir son territoire en y réinjectant ses revenus.


Hypercentre Chambéry
Chambéry, place Saint-Léger




“Notre rôle d’élus est très souvent un rôle de médiation. Il faut accepter l’idée que la ville vive.”

En même temps, le commerce en ligne génère une croissance forte, et pas forcément anticipée ni maîtrisée, de la livraison à domicile, qui n’est pas sans effet sur le fonctionnement urbain. Nantes interdit désormais les scooters dans certaines parties de la ville. Et à Chambéry, comment voyez-vous cela se développer ?



Raphaële Mouric

Ces scooters, auxquels nous aussi sommes confrontés, relèvent typiquement du conflit d’usage. Chacun a envie de commander un repas chez Uber, mais personne ne veut voir circuler des scooters devant chez soi.
C’est le syndrome NIMBY bien connu : Not in my back yard. Face à cela, notre rôle d’élus est très souvent un rôle de médiation. Il faut expliquer au riverain que s’il veut disposer de tous ces services en bas de chez lui, il faut accepter que le commerçant travaille dans de bonnes conditions, peut-être avec quelques nuisances. Il faut accepter l’idée que la ville vive. Les livraisons à domicile et le click and collect font désormais partie de la consommation, même s’ils vont certainement encore évoluer. Nous serons amenés à l’expliquer encore et encore. Cela relève du vivre ensemble, en fait.



Et à propos des livraisons d’une manière générale ?



Xavier Laurent, directeur de projet Action Cœur de Ville
Chambéry a conduit une étude menée en partenariat avec l’Agence alpine des territoires, l’équivalent d’une agence d'urbanisme, et le LAET de Lyon [Laboratoire aménagement, économie,transports]. Un diagnostic des principaux générateurs de flux publics ou privés liés à l’économie de proximité a été réalisé. On parle, pour le cœur de ville élargi de Chambéry, d’environ 1000 commerces, qui ont chacun leurs livraisons et sont fortement générateurs de flux. Les “gros porteurs” ne sont pas forcément ceux qui génèrent le plus grand nombre de flux car ils sont plus concentrés. Cet état des lieux va permettre d’établir des préconisations et de déterminer si, par exemple, il est pertinent de créer des centres de logistique de proximité en milieu urbain. L’expérience d'autres villes telles que Grenoble montre qu’il existe une taille critique et que Chambéry est un peu à la limite. L’étude comporte aussi un petit parangonnage [benchmark] sur la livraison du dernier kilomètre par des modes doux ou au moyen d’innovations un peu plus technologiques.



Les conflits d’usage liés au commerce ne sont pas nouveaux, et ne sont pas faciles à gérer. Avez-vous pris des dispositions réglementaires particulières?



Raphaële Mouric 
Sur l’aspect réglementaire, je laisserai le maire en parler, mais je peux évoquer un sujet d’actualité : une grande enseigne qui souhaite s’installer sur un emplacement stratégique, et qui a rencontré l’opposition des riverains qui redoutent des nuisances. Nous avons organisé une conciliation entre eux et les dirigeants de cette enseigne pour les amener à se parler et à se comprendre : quand on connaît son voisin, le bruit qu'il produit n’est plus ressenti de la même manière ! Le résultat de ces échanges a été finalement très positif. 


Ce qui me frappe dans votre réponse, c'est que cette conciliation est menée sans restreindre les objectifs que vous vous êtes assignés : c’est aussi l’expression de votre volonté.



Raphaële Mouric

Oui, mais toujours dans la douceur, non pas pour l’imposer, mais pour montrer le bien fondé de la direction que nous souhaitons donner à la ville. Dans ce cas, nous avons d’ailleurs également amené le commerçant à prendre un certain nombre d’engagements pour le respect du voisinage. Il est clair pour nous que l’attractivité d'une ville passe aussi par son animation et nous pensons que l’on peut concilier cela avec le bien vivre ensemble.  Le cœur de notre métier d'élu, c'est d’arriver à des dispositions qui respectent les contraintes ou l’agrément de chacun.




Peut-on évoquer le nom de l’enseigne qui a fait l’objet  de cette conciliation ?



Thierry Repentin

Le Ninkasi, concept très connu en région lyonnaise ; ce sont des restaurants brasseurs très vivants,  qui accueillent aussi des spectacles. Ils attirent des Chambériens, qui font le trajet jusqu’à Lyon pour y passer une soirée. Nous avions donc là une opportunité et la responsabilité de permettre ce loisir sans qu’il faille faire une heure et quart de voiture. Nous bénéficierons à notre tour de cette attractivité, en faisant venir aussi à Chambéry des personnes de Grenoble ou d’Annecy pour une soirée au Ninkasi. Si nous voulons que notre centre-ville rayonne, nous devons attirer des enseignes qui parlent à la clientèle, en l'occurrence plutôt jeune avec le Ninkasi, et faciliter leur installation. Être élu local, c’est aussi gérer des demandes contradictoires. On ne peut pas s’arrêter à la première pétition : l’addition d’intérêts particuliers ne fait pas l’intérêt général, mais le fait disparaître, et avec lui l’attractivité de la ville. Il faut avoir le courage de faire se rencontrer les gens. Nous, maires, avons une mission de concorde, quels ques soient les domaines d’intervention.

Ninkasi boulevard de la Colonne
Emplacement envisagé pour un restaurant Ninkasi boulevard de la Colonne



“Par rapport au premier confinement où la gratuité du stationnement avait été instaurée, les commerçants ont pu mesurer qu’ils avaient beaucoup mieux travaillé.”

Justement, s’agissant des conflits d’usage, vous êtes sans doute confrontés à des visions antagonistes en matière de stationnement…



Thierry Repentin
 
Effectivement, nous avons fait un choix qui allait à l’encontre de l’avis d’une partie de la population du centre-ville, en refusant la gratuité du stationnement en période de confinement, contrairement à un certain nombre de villes. Nous avons expliqué aux Chambériens confinés chez eux en télétravail que la gratuité allait se traduire par la présence de voitures ventouses, et que les commerçants autorisés à ouvrir avaient besoin de rotation, notamment pour la restauration à emporter. 

Raphaële Mouric
Les commerçants eux-mêmes y étaient opposés au départ car ils n’en comprenaient pas les raisons, mais ils ont reconnu après que c'était la bonne décision. Par rapport au premier confinement où la gratuité avait été instaurée, ils ont pu mesurer qu’ils avaient beaucoup mieux travaillé.



Le sujet sur la réglementation du stationnement est évidemment à la fois complexe et très polémique mais, d’une manière générale, les outils réglementaires dont vous disposez vous semblent-ils adaptés ? Et plus particulièrement, êtes-vous de ceux qui ont défendu l’idée d’un moratoire sur la création de grandes surfaces en périphérie ?



Thierry Repentin

Aujourd'hui l’activité commerciale est en effet régulée par pas mal de documents, le SCoT [schéma de cohérence territoriale], le PLUi HD [plan local d’urbanisme intercommunal habitat et déplacements] … Soyons honnête, la pression sur le foncier de périphérie est moins forte depuis un an pour l’installation de nouveaux commerces, surtout pour les grandes surfaces, dépassant quelques centaines de mètres carrés. Je ne pense pas que cela soit spécifique à Chambéry. En arrivant [juin 2020] nous avons indiqué que nous souhaitions un moratoire pour la création de nouvelles surfaces dans les zones périphériques, mais pas sur la requalification des surfaces existantes. Nous tiendrons. Je représente les maires de Savoie au sein de la CDAC, les élus peuvent donc peser par le vote et les arguments qu’ils expriment. 

Dans le centre, en revanche, nous avons des projets de développement. Nous avons par exemple lancé un appel à manifestation d’intérêt sur une ZAC autour de la gare, à 7 à 8 minutes à pied de l'hyper-centre, pour la construction d’un bâtiment de 10 000 m2 au total. Mais il ne comprendra aucune surface de plus de 500 m2. Il intégrera un food court avec des enseignes tendance de type alimentation végétarienne et cuisines du monde. Dans ce type de projets, nous pouvons peser sur les choix dans la mesure où nous sommes dans le jury qui choisit l’investisseur, nous délivrons le permis, même si l’enseigne peut changer par la suite.  Le commerce est une prise de risque et le succès n’est pas toujours au rendez-vous. 




"Je pense possible de ré-épaissir la présence commerciale en centre-ville en reconfigurant des cellules pour les réoccuper"

Dans les villes moyennes, il n’est pas rare de constater que le commerce peine à se maintenir faute d’une clientèle suffisante. Dans certains cas, il peut être judicieux de le concentrer sur les secteurs les plus favorables. Avez-vous envisagé ce type de stratégie ?



Thierry Repentin

Non, au contraire. Le taux de vacance commerciale dans le périmètre de l'ORT [opération de revitalisation du territoire] est de 11,6 % et de 10% sur le périmètre communal, il est donc inférieur d’environ un à deux points à la moyenne de 12,5 % observée sur les villes de notre strate. Certains secteurs ont en effet perdu de leur tradition commerciale, mais je pense possible de ré-épaissir la présence commerciale en centre-ville en reconfigurant des cellules pour les réoccuper. Cela demande du temps et des moyens et c’est ce que nous faisons dans le cadre d’Action Cœur de Ville, avec des financements de l’Anah [Agence nationale de l’habitat] et de la Banque des territoires, en actionnant plusieurs leviers : rachat des cellules vides, création de surfaces plus grandes en regroupant des cellules contiguës, mais aussi rénovation des façades et remise en état des logements vacants. Xavier Laurent peut en parler.

Xavier Laurent
Notre objectif est en effet très clairement de faire jouer l’effet de levier. Nous avons du mal à faire comprendre aux commerçants que le programme ne comporte pas d’aide directe pour eux, mais seulement pour les collectivités et leurs satellites afin de créer un environnement favorable. Même s’il y a quelques exceptions liées au plan de relance ou aux offres de service de la Banque des territoires.




Allez-vous créer une foncière publique pour acquérir les cellules commerciales concernées ?




Xavier Laurent

Chambéry a fait le choix de travailler avec sa SEM, qui est à la fois bailleur social et acteur de l'immobilier économique et commercial. C’est un outil puissant que nous allons renforcer financièrement grâce notamment à l’apport de capitaux de la Banque des territoires, avec des fonds provisionnés pour acquérir et restructurer des rez-de-chaussée commerciaux. Cela doit nous permettre d’accompagner la diversification, l’offre et la création d'entreprise, par des boutiques éphémères et des boutiques à l'essai et in fine répondre à l’enjeu de la ville productive.

 

Thierry Repentin
Par ailleurs, l’Agglomération s’apprête à créer une foncière solidaire pour le logement. Elle nous permettra de rester maîtres du foncier, de conserver ad vitam des logements abordables et de contrôler l’éligibilité des acquéreurs grâce au mécanisme du BRS (bail réel solidaire). Pour ma part, je serais assez favorable à une foncière commerciale solidaire du même type, à l’échelle de l'agglomération également. 

Pour revenir sur la question précédente, je ne veux pas qu'on se dise “Le combat est perdu, concentrons-nous sur l'hypercentre”. Je tiens au contraire à aller à la reconquête de commerces dans les quartiers, notamment QPV [quartiers prioritaires de la politique de la ville], même si c'est plus difficile. Nous venons d’ailleurs d’inaugurer un nouveau marché de plein vent avec une quinzaine d'étaliers dans le quartier du Biollay. Nous nous donnons six mois, avec une exonération des droits de voirie et une grande campagne de communication sur toute la ville, pour voir si le succès est au rendez-vous. 

 


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Le nouveau marché du quartier Biollay, en cours d’expérimentation

 
 

Vous avez évoqué l’apparition récente à Chambéry de commerces fonctionnant en circuit court. C’est un phénomène assez général, qui semble répondre à une demande profonde, exacerbée par le confinement. Est-ce une forme de commerce que vous souhaitez promouvoir ?


 

Raphaële Mouric
Nous y travaillons. Par exemple, avec le Ninkasi, qui a déjà une politique d’approvisionnement local auprès d’un réseau essentiellement lyonnais, j'ai émis le souhait qu'ils puissent basculer un certain nombre de leurs commandes sur des producteurs de la région de Chambéry, sans toutefois rendre ces derniers trop dépendants de ce chiffre d’affaires. C’est important au cas où le Ninkasi viendrait à défaillir. Nous faisons cette demande à tous nos nouveaux commerçants de s'approvisionner sur le territoire, y compris par le biais de la monnaie locale.


“La monnaie locale est un outil de re-territorialisation des richesses.”


La monnaie locale ? Comment fonctionne-t-elle ?

 


Raphaële Mouric

C’est assez simple. Les commerçants, leurs fournisseurs et les particuliers peuvent adhérer à l’association La Monnaie Autrement. La monnaie elle-même s’appelle l’élef et un élef vaut un euro. Certains des commerçants adhérents jouent le rôle de bureau de change. En tant que particulier, vous changez des euros en éléf que vous pouvez utiliser chez les commerçants adhérents uniquement, et les commerçants eux-mêmes les utilisent pour s’approvisionner auprès de fournisseurs adhérents. C’est une excellente façon de soutenir l’activité locale. 

Billet-vrac

L’élef, monnaie locale chambérienne. Dessin : ©Marine DUPUICH. Photo : ©Elisabeth Berger

 


Son impact est-il important ?



Raphaële Mouric

L’association est née il y a 6 ans autour de 7 commerçants, dont Biocoop qui récupérait l’essentiel des élefs. Aujourd’hui je crois qu’elle a 1200 adhérents particuliers et 200 professionnels, le tout sur un bassin de vie assez large qui va d’Aix-les-Bains à Montmélian. C’est un outil de re-territorialisation des richesses qui reste en devenir mais auquel je crois beaucoup. Nous soutenons cette association dans son rapprochement avec l’UCA [Union commerciale et artisanale], dont l’adhésion serait très utile pour le développement de l’élef puisqu’elle pourrait notamment en faire la promotion auprès de ses propres adhérents. 



Il me reste à vous remercier pour cet échange rafraîchissant, qui montre bien toutes les interactions à gérer entre ville et commerce, mais aussi l’importance d’un projet politique cohérent au service de toute la ville et de l’intérêt général. Je retiens des exemples très concrets, en particulier le rôle de médiation et les capacités d’adaptation auxquels vous êtes attachés, ainsi que votre volonté de répondre de manière réfléchie aux besoins spécifiques des commerçants.

Photos : mairie de Chambéry



Retail Talk 

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